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Selon l'ONUSIDA, nous pourrions « En finir avec le sida ». Sans nier les efforts considérables qui restent à fournir dans certaines régions du monde, le rapport 2017 du Programme commun des Nations Unies contre le VIH/sida se montre optimiste quant à la possibilité d'atteindre à moyen terme les ambitieux objectifs internationaux (dits « 90-90-90 ») fixés en 2014 : 90% de connaissance de leur statut sérologique par les personnes vivant avec le VIH-Sida, 90% d'accès aux traitement pour les personnes dépistées et 90% de suppression de charge virale pour les personnes traitées. Les progrès réalisés en Afrique orientale et australe, région la plus touchée par le VIH/sida, seraient à ce titre particulièrement frappants et prometteurs pour d'autres régions du monde moins avancées à ce jour dans la lutte contre l'épidémie.


De San Francisco...


Un tel espoir était impensable il y a dix ans. Ne parlons pas des années 80/90. Retourner dans les archives c'est se replonger dans l'histoire de la propagation de l'épidémie d'un continent à l'autre, redécouvrir les réticences culturelles et politiques qu'elle a pu susciter, le manque d'infrastructures, de moyens humains et financiers, les premiers engagements locaux et nationaux, ou encore la lutte pour faire baisser le prix des traitements dans les pays pauvres. C'est repartir fin 80 dans la communauté gay endeuillée de San Francisco, où l'on commence à s'inquiéter de la diffusion du VIH dans la population générale. C’est encore s’étonner au début des années 90 de la faible prévalence du VIH en Grande-Bretagne, où des programmes d'échange de seringues ont été mis en place très précocement (mais où les séropositifs n'en sont pas moins ostracisés par la population et les médecins généralistes).


… au Rwanda.


On y redécouvre comment l’expansion du virus en Ouganda, au Rwanda ou en Afrique du Sud s’est déroulée avec un terrible sentiment d'impuissance face à la catastrophe annoncée, aux lacunes immenses des systèmes de santé, aux croyances délétères des populations – le sida serait la maladie du Blanc, de l'autre – et des professionnels de santé – annoncer la nouvelle de la contamination pourrait les livrer aux comportements vengeurs de leurs patients. En 1994, les premiers orphelins du sida sont mentionnés, à propos de la Côte d’Ivoire ; cinq ans plus tard le journal évoque « une génération d'orphelins à élever » en Afrique, avec des familles qu’il faut aider à développer des activités génératrices de revenus afin qu'elles puissent subvenir aux besoins de ces enfants à charge.  En 2006 ces solidarités familiales ne tiennent plus tant les adultes ont été décimés par la pandémie.


Alertes dans les sociétés traditionnelles


L'alerte est lancée en 2005 sur le risque de propagation de l'épidémie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, dans des sociétés traditionnelles hostiles aux comportements susceptibles de causer l'infection, et dès lors peu enclines aux recherches épidémiologiques et comportementales, comme à la prévention. Un cri qui aura eu peu d'effets. Aujourd'hui, ces pays sont parmi les plus à la traîne en matière de dépistage, même si par ailleurs des plans d'accès universel aux traitements peuvent avoir été mis en place. Une même volonté de ne pas voir, de décennie en décennie, se retrouve dans les articles consacrés à l'Europe de l'Est et la Russie, avec toujours comme ingrédients les solutions répressives plutôt que préventives, la forte discrimination envers les personnes séropositives, la faiblesse des moyens alloués par l'État. Des termes qu'on relit quasiment à l'identique dans les articles consacrés à la Chine, avec en prime un focus sur son scandale du sang contaminé.


Le combat des pays émergents


On admire enfin ces pays émergents qui ont su se mobiliser fortement, inventer des solutions pour accélérer la prise de conscience des populations et faire baisser les coûts des prises en charge. En 1995, le JDS pointait la diffusion exponentielle du VIH en Thaïlande, avec un risque de pandémie dans une société où les jeunes hommes débutent fréquemment leur vie sexuelle avec des prostituées. Il se réjouissait du fort engagement politique du « mister condom » thaï, Micha Viravaidya, au profit de la prévention et de l'investissement dans la prise en charge des malades. L'exemple thaïlandais pourrait-il servir de modèle à toute la région, sérieusement menacée ?, s'interrogeait-on dans le journal. Aujourd'hui, la Thaïlande a atteint l'objectif de 90% de dépistage des populations contaminées. Elle fait partie, avec l'Inde ou le Brésil, de ces pays qui ont osé mettre en cause la législation internationale sur la propriété industrielle (accords ADPIC), pour permettre l'accès universel aux traitements dans les pays les plus pauvres. À partir des années 2000, plusieurs articles rendent compte de leurs diverses stratégies (fabrication de génériques, émissions de licences obligatoires, négociation de prix...) et de la confrontation entre ces pays et les grosses firmes pharmaceutiques. Résultat : les prix des médicaments de première et seconde ligne ont drastiquement baissé, parfois de 90%, non seulement dans les pays à l'origine de ces démarches, mais aussi chez leurs voisins. C'est toute cette histoire qui permet aujourd'hui à la communauté internationale de viser une mise sous traitement généralisée des personnes touchées. Avec l'idée qu'une charge virale indétectable est à la fois favorable aux personnes séropositives et facteur de prévention pour la population générale.


Laëtitia Darmon



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