Centres de santé sexuelle d’approche communautaire : une offre expérimentale pour répondre aux enjeux de santé des personnes LGBT+

Septembre 2022

6 minutes

Rédigé par Elie HERVE

Quatre centres de santé sexuelle d’approche communautaire (CSSAC), à Lyon, Marseille, Montpellier et Paris, mettent en place depuis 2021 une offre de santé sexuelle dédiée aux personnes LGBT+ et travailleur.se.s du sexe, sur le modèle anglo-saxon de la Dean Street clinic de Londres. Il s’agit de répondre à des enjeux spécifiques à ces personnes, aussi bien en termes de santé que d’accueil, sans jugement ni discrimination. En phase d’expérimentation pendant deux ans, l’offre des CSSAC est proposée dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018.

Améliorer l’offre de santé sexuelle à destination des populations clé HSH, TDS et personnes trans
Améliorer l’offre de santé sexuelle à destination des populations clé HSH, TDS et personnes trans

Non loin du Palais Longchamp à Marseille, se niche un local qui accueille des personnes LGBT+ et TDS, qui souhaitent trouver une offre de santé adaptée à leurs besoins, intégrant dépistages, prévention - dont la PrEP-, RDR, consultations spécialisées et TPE : le Spot Longchamp (https://longchamp.lespot.org/le-spot), géré par l’association Aides.

“Nous avons ouvert Le Spot [en 2016] pour que les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH), les personnes trans et les travailleur.se.s du sexe (TDS) puissent trouver un espace de confidentialité et de non-jugement”, raconte Jean-Philippe, militant à Aides au Spot, et à l’unité mobile depuis 2021.

Ouvert en tant que CeGIDD, le Spot Longchamp a été retenu par la CNAM et la DGS suite à l’appel à manifestation d’intérêt conjoint publié en 2019, pour l’expérimentation CSSAC. La structure a pu ainsi ajouter à ses actions des dépistages rapides du VIH et des IST via l’utilisation d’un automate de biologie médicale et ouvrir son unité mobile. Elle a également étoffé son offre de consultations spécialisées en santé sexuelle et doublé  le nombre de permanences d’ouverture.

Quatre structures tests

Le Spot Longchamp est l’un parmi quatre postulants retenus par le ministère des Solidarités et de la Santé, et la CNAM, pour expérimenter durant deux ans des centres de santé sexuelle d’approche communautaire dans des villes à forte prévalence de VIH et IST : Les Spot Marseille et Montpellier gérés par l’association Aides, le Checkpoint à Paris, appartenant au Groupe SOS (1) et le C2S à Lyon, géré par l’association Virages santé.

Ils proposent un accueil et un accompagnement d’approche communautaire, visant à mettre en place des parcours PrEP et “test and treat” pour faciliter le dépistage et le cas échéant le traitement du VIH, des hépatites virales et IST, et in fine évaluer l’impact de cette offre spécifique sur l’incidence des infections virales (VIH, VHB, VHC) et des IST.

La CNAM a mobilisé une enveloppe de 15 millions d’euros pour la mise en œuvre de cette expérimentation. Ce financement a permis de créer le Spot Montpellier et de développer l’offre des trois autres structures qui existaient déjà, le Checkpoint comme le Spot Marseille cumulant désormais deux statuts, CeGIDD et CSSAC. Le Checkpoint peut par exemple répondre de façon proportionnelle à la demande grâce à ce financement, en ayant multiplié par six le nombre de ses consultations. Au C2S à Lyon "Cela commence à se mettre en place. Nous avons pris du retard, explique la présidente de Virages Santé, Colette Coudeyras, parce que notre local rue du Griffon à Lyon a été vendu. Nous avons finalement réussi à trouver un nouveau local dans le même quartier (2) et pu nous y installer, après des travaux, en juillet 2022." Ce centre ouvre début septembre des créneaux de vaccination pour le Monkeypox (3) et devrait pouvoir commencer à dépister les IST vers la mi-septembre.

L’objectif des CSSAC est de lutter contre l’épidémie cachée du VIH, des hépatites virales et des IST sur leur territoire, et d’améliorer l’offre de santé sexuelle à destination des populations clé HSH, TDS et personnes trans. A cela s'ajoute une “offre globale, intégrée et adaptable rapidement à de nouveaux besoins identifiés” comme le chemsex ou les parcours de santé Trans. Le TPE est disponible au Checkpoint et au Spot Marseille (du fait de leur activité CeGIDD parallèle).

Nouveau modèle de financement

L’expérimentation CSSAC vise également à évaluer un nouveau modèle économique de financement forfaitaire par passage.

Les CSSAC dépendent de la CPAM et sont financés par celle-ci selon une modalité expérimentale au forfait, selon l’offre de santé proposée.  Ainsi trois forfaits ont été établis : un forfait dépistage de 186 euros, un forfait traitement de 72 euros et un forfait PrEP de 58 euros.

Les personnes qui ont une carte vitale ou une AME bénéficient d’une prise en charge intégrale par l’assurance maladie. Celles sans assurance maladie ne peuvent pas accéder à l’offre CSSAC, sauf au Checkpoint et au Spot Marseille. Les ARS ont en effet autorisé ces derniers à développer la même offre de santé sur leur activité CeGIDD permettant d’avoir une offre unique : prise en charge à 100% par l’assurance maladie sans avance de frais pour bénéficiaire AME/couverture sociale ou totalement gratuite pour les personnes sans AME/couverture sociale.

Des crédits d’amorçage ont également été proposés pour démarrer l’activité. Chaque centre a défini en lien avec la CNAM et la DGS des objectifs d’activité spécifiques pour la vaccination, le déploiement des consultations spécialisées, notamment d’addictologie, gynécologie, endocrinologie et de psychologie.

Le Checkpoint

Au centre de Paris, près des métros Strasbourg Saint-Denis, Sentier et Réaumur Sébastopol, le nouveau local du Checkpoint affiche les couleurs. Sur la porte d’entrée les drapeaux des fiertés se côtoient. Le parapluie rouge pour les TDS, le rond violet sur fond jaune pour les personnes intersexes, le drapeau blanc, rose, bleu pour les personnes trans et le Rainbow pour toutes les personnes LGBTQI+. "On voulait montrer, dès l'arrivée, que toutes les personnes étaient les bienvenues ici et qu’elles seraient prises en charge sans jugement et avec bienveillance", souligne Nicolas Derche, directeur de l’association Kiosque Infos Sida, à laquelle est rattaché Le Checkpoint. Ici 30 salarié·e·s se relaient, sur 22 équivalent temps plein. Aux cinq accueillant·e·s et cinq infirmier·e·s qui assurent le fonctionnement du Checkpoint sur une large amplitude horaire (4) s’ajoutent six médecins dont deux titulaires d’un DU de gynécologie, deux addictologues, un psychiatre, un sexologue et une assistante sociale qui assurent les différentes consultations spécialisées.

“L’objectif de l’approche communautaire est de proposer des offres de santé adaptées aux besoins de nos différents publics et de garantir un accueil sans discriminations, continue Nicolas Derche. Par exemple, nous avons mis en place des consultations gynécologiques pour les femmes cis et trans lesbiennes et les hommes trans qui sont trop souvent exposé·e·s à des attitudes discriminantes de médecins gynécologues. Idem pour les consultations d’endocrinologie pour les personnes trans. Notre parcours de santé pour les personnes trans est construit avec l’aide et l’expertise d’associations parisiennes de santé trans (OUTrans, Acceptess-T et Espace santé Trans) - qui proposent une approche globale bien au-delà de la santé - et l’équipe de la maison de santé dispersée de Lille. Il propose l’initiation et le suivi de traitements hormonaux et peut être mis en œuvre avec le soutien d’une médiatrice, qui travaille en lien avec les trois associations partenaires. L’équipe du Checkpoint bénéficie également de formations animées par les associations de santé communautaires trans, dans une logique d’amélioration continue de l’accueil et la prise en charge des consultant·e·s. Autre initiative mise en place au Checkpoint, le protocole de rappel des patient·e·s. “C’est simple, nous n’avons aucun patient perdu de vue", souligne Hannane Mouhim, directrice du Checkpoint. Pour les résultats positifs au VIH par exemple, le partenariat entre le SMIT de Saint Louis à Paris et le Checkpoint permet d’obtenir un rendez-vous en 24h à 48h et donc d’initier très rapidement un traitement ARV.

En 2020, 5000 personnes étaient suivies par le Checkpoint, dont 85% de HSH. 13583 dépistages (VIH, IST – chlamydia et gonorrhée-, hépatites) ont été réalisés. En 2021, depuis la mise en œuvre de l’offre de santé du CSSAC au mois de mai, 32825 dépistages ont été réalisés, dont 3300 du VIH. 781 personnes étaient suivies dans le cadre de la PrEP, dont 509 initiations de parcours (soit 10,5 % des initiations PrEP en Ile-de-France).

"Traiter tout le monde de la même manière revient à nier les inégalités d’accès aux soins et les déterminants sociaux de santé - difficultés économiques, d’accès à internet ou discriminations -, continue Hannane Mouhim. Il faut adapter l’offre de santé aux besoins des personnes et porter une attention particulière à toutes celles qui cumulent des facteurs de vulnérabilité".

Montpellier

Le Spot Montpellier a été lancé en juillet 2021. La vaccination contre le papillomavirus y rencontre un très grand succès. Des groupes de parole ont aussi été mis en place pour les TDS ainsi que pour les personnes trans, autour des questions administratives ou d’injection. "On est partis d’une page blanche et aujourd'hui on a une file active de 700 personnes", raconte Vincent Péchenot, coordinateur de Aides Montpellier. Comme le Checkpoint et le Spot Marseille, le Spot Montpellier est équipé d’une machine GeneXpert®, automate de biologie médicale, qui permet de déceler en 90 minutes le VIH, le VHC, les Chlamydia et la gonorrhée. Les consultants réalisent des auto-prélèvements (gorge, anus, urine) que les infirmiers techniques mettent dans des cassettes, placées ensuite dans l’automate. Une fois les résultats obtenus, le consultant reçoit un SMS s’ils sont tous négatifs. Dans le cas d’un résultat indéterminé ou positif, un SMS lui demande de recontacter ou se rendre directement au centre, où il sera reçu par un médecin qui lui remettra un traitement antibiotique pour une IST, ou, en cas de test positif au VIH ou VHC, l’informera et l’orientera pour un RV à l’hôpital.

Des CeGIDD saturés

La création des CSSAC répond aux difficultés rencontrées par les personnes concernées. "L’offre en santé sexuelle existante ne répond pas suffisamment aux besoins communautaires, les CeGIDD [...] sont saturés et l’offre ne permet pas dans les grandes villes une réponse à l’échelle des enjeux", motivait en novembre 2020 le ministère de la Santé.

"Les centres de santé sexuelle sont une réponse pour atteindre l’objectif 2030 sans sida fixé par l’Onusida, ajoute Camille Spire, présidente de Aides. Leur déploiement est indispensable pour mettre fin à l’épidémie." Grâce aux traitements ARV et à la PrEP, il est possible aujourd’hui de mettre un terme aux nouvelles transmissions de VIH. Après la phase d’expérimentation, les quatre CSSAC, espèrent pouvoir pérenniser cette offre de soins. "On a tous les outils pour arriver aux objectifs de 2030, reconnaît Hannane Mouhim, mais on n’y arrivera pas seuls."

"Certaines orientations politiques nuisent à l’éradication du VIH, la pénalisation des clients de TDS par exemple ou encore le démantèlement progressif de l’AME, rappelle Nicolas Derche. C’est en luttant contre les inégalités de santé qu’on pourra vraiment atteindre l’objectif zéro contamination par le VIH".


(1) Arcat, qui édite le Journal du Sida, est également une association du Groupe SOS.
(2) Le C2S se situe au 23 rue des Capucins 69001. Téléphone : 04 28 29 04 87.
(3) En partenariat avec l’Agence Régionale de Santé, le C2S réserve des plages dédiées de vaccination Monkeypox à partir du lundi 05 septembre, du lundi au vendredi de 18h à 21h, le premier samedi du mois de 12H à 17H
(4) Le Checkpoint est ouvert du lundi au vendredi de 9h à 21h et le samedi de 9h à 18h

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), définit la santé communautaire comme le processus par lequel les membres d’une même collectivité, géographique ou sociale, prennent en charge leur santé et celle de leur communauté. Elle souligne qu’"une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé des populations". Sandrine Motamed, médecin et autrice de la publication "Qu’est-ce que la santé communautaire ?" rappelle que cette vision participative est inscrite dans la constitution de l’OMS. (L’information psychiatrique, 2015/7, volume 91. Pages 563 à 567).

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