Chronologie pour mémoire
La chronologie détaillée des principaux événements, connus aujourd’hui, relatifs à la contamination des hémophiles et des transfusés suscite analyses et commentaires éclairants quant à l’enchaînement de causalités... et de responsabilités.
Juillet 1982 : Le CDC d’Atlanta rapporte 3 cas de sida chez des hétérosexuels traités par des concentrés plasmatiques de facteur VIII.
Courant 1982 : Le nombre de cas de sida diagnostiqués chez des personnes hémophiles s’élève à 8 dans le monde. Il atteindra en 1983 les chiffres de 21 aux Etats-Unis et de 8 en Europe.
1983
•10 mai 1983 : La firme américaine Travenol-Hyland informe le CNTS de la mise en place d’un procédé de chauffage qui pourrait protéger du sida. Aucune réponse ne sera apportée à ce courrier.
• 20 juin 1983 : La Direction générale de la santé (DGS) adresse une circulaire comportant des instructions aux établissements de transfusion sanguine sur le sida. Elle stipule, entre autres, que, « bien que la transfusion sanguine française ne constitue actuellement qu’un risque minime de transmission du sida (sic), le caractère grave de cette affection et l’absence de test approprié pour la détection des éventuels porteurs de son agent pathogène conduisent (...) à recommander différentes dispositions pour identifier les personnes appartenant aux populations à risque ».
• Juillet 1983 : Publication, dans le n°28 du BEH, du premier cas de sida observé en France chez un hémophile (aux Etats- Unis, on recense à cette époque 1 % des cas de sida chez des hémophiles).
• Novembre 1983 : Publication du cas de Rochester. En novembre 1980, un homme de cinquante-trois ans est transfusé pour des problèmes cardiaques et meurt vingt-neuf mois plus tard d’un sida (il s’agit du premier cas observé chez une personne transfusée et qui n’appartient à aucun des «groupes à risques» identifiés jusque-là).
• Décembre 1983 : Le CDC d’Atlanta enregistre 31 cas de sida chez des adultes transfusés.
[Un certain nombre d’éléments sont donc acquis à la fin de cette année 1983. Le sida est désormais une pathologie reconnue et les travaux des Prs Montagnier et Gallo ont permis d’identifier son agent causal, dénommé par la suite VIH. Il est établi qu’il s’agit d’un rétrovirus transmissible par les sécrétions sexuelles, mais également par le sang et les produits dérivés. Le risque transfusionnel est donc évident dès cette époque, même si l’on ne connaît pas encore précisément les conséquences de l’infection pour la majorité des personnes contaminées.
La circulaire de juin 1983, qui est la première réponse officielle à ce nouveau danger, précise d’ailleurs fort bien ce risque à tous les médecins des centres de transfusion. Mais cette circulaire ne sera pas suivie d’effet. Plusieurs déclarations ultérieures de différents responsables le prouvent, ainsi que les circulaires ayant le même objet de 1985, 1987 et 1989. Comme le note Michel Lucas, dans son rapport, lors du bilan des années 1984- 1985 : « Les incertitudes des uns ne contrebalancent pas les certitudes rassurantes des autres. »
Entre la crainte de voir fuir les donneurs, du fait d’une politique trop vigoureuse d’information et de prévention lors des collectes de sang, et une lecture rassurante des incertitudes concernant le risque transfusionnel et son ampleur, les centres de transfusion ont facilement choisi, si ce n’est sur le fond, du moins dans les faits.]
1984
• 3 février 1984 : Edmond Hervé, alors secrétaire d’Etat à la Santé, charge le Pr Ruffié d’une mission d’information, qui, sans remettre en cause l’idée fondamentale du bénévolat des donneurs de sang, pourrait mettre fin aux grosses difficultés de trésorerie et de fonctionnement des centres de transfusion sanguine.
• Février 1984 : Aux Etats-Unis, les données de la surveillance signalent que 1 % des cas de sida observés le sont chez des hémophiles et 1 % chez des transfusés. En ce qui concerne les 31 cas de sida associés à des transfusions, il s’agit de 18 hommes et de 13 femmes pour lesquels il n’existe pas d’autres facteurs de risque connus et qui ont reçu du sang au cours des cinq années précédant l’apparition de la maladie. Ceux-ci ont subi des transfusions entre avril 1978 et mai 1983 ; 12 sont décédés.
• Juillet 1984 : Au congrès international de Munich, plusieurs procédés d’inactivation du virus - dont celui par chauffage - sont présentés. A la même date, meurt le premier hémophile français atteint d’un sida, un adolescent de quinze ans.
• 26 octobre 1984 : Les CDC américains recommandent l’utilisation des produits plasmatiques chauffés pour le traitement des hémophiles.
• 22 novembre 1984 : A Paris, le Dr Jean-Baptiste Brunet, de la DGS, présente un rapport sur les risques de transmission du sida par la transfusion en relevant trois points essentiels : -10 % des séropositifs ont développé un sida dans les cinq ans, - l’efficacité de l’inactivation par la chaleur est prouvée, - rappel des recommandations du CDC.
• 18 décembre 1984 : Le Pr Ruffié succède au Pr Jean Bernard à la présidence du CNTS.
[Le bilan de l’année 7 984 présenté ainsi paraît bien modeste en termes de décisions ou de mesures effectives de prévention en France, et cela alors même que c’est probablement durant cette année que le risque transfusionnel a été le plus important. Si, dans le monde scientifique, les inquiétudes grandissent au fur et à mesure des différents relevés épidémiologiques et en fonction des informations médicales qui s’accumulent, celles- ci ne débouchent pas sur un consensus, et surtout ne s’expriment pas d’une manière suffisamment manifeste pour susciter une prise de conscience du grand public et des décideurs. Certes, les premiers essais concernant des produits plasmatiques chauffés ont démarré, mais aucune information n’a filtré au-delà du cercle des initiés. Et c’est bien là une des caractéristiques générales de cette affaire, qui définit encore plus particulièrement l’année 7 984 : le silence. On peut également constater, à l’issue de ces premières années de développement de l’épidémie, un des dysfonctionnements responsables, entre autres, du manque de prise de décision en matière de santé publique, qui est l’absence de formulation claire et consensuelle de l’avis des experts. Certes, plusieurs d’entre eux se sont exprimés et se plaisent aujourd’hui à le rappeler... Mais ils l’ont fait en ordre dispersé, sans pouvoir convaincre que, en bonne logique scientifique, leurs incertitudes sur l’avenir devaient entraîner des mesures conservatoires.]
1985
• 9 janvier 1985 : Un rapport de l’IGAS (non rendu public) fait état d’une des premières études sur le test de dépistage menée par le Dr Pinon, chef du service de transfusion de l’hôpital Cochin. Cette étude identifie 5 personnes séropositives pour 1000 donneurs de sang parisiens. Il demande donc de limiter le plus possible l’usage du sang et de ses produits dérivés. A partir de ce moment-là, compte tenu des résultats de cette première étude, on a toutes les raisons de craindre que le risque de contamination pour les hémophiles traités par des produits non chauffés soit de 100 %.Ce même rapport inédit (le Monde, 5 octobre1991) révèle que des sommes allouées à la recherche ont été utilisées à d’autres fins.
• 16 janvier 1985 : Dix-huit mois après la première, une deuxième circulaire de la DGS est adressée à l’ensemble des centres de transfusion sanguine : « Vous trouverez ci-joint un extrait du n° 41 du BEH sur la situation du sida au 15 octobre 1984. Vous observerez que le nombre de cas de sida liés à la transfusion s’est considérablement accru aux Etats-Unis et que des cas semblables ont été constatés en France. »
• 2 février 1985 : La revue médicale anglaise The Lancet publie une lettre, cosignée par Luc Montagnier et des chercheurs français, belges et italiens, démontrant que des hémophiles traités avec les produits chauffés ne sont pas contaminés, tandis qu’un groupe témoin de patients qui n’a reçu que des produits non chauffés comporte 17 % de séropositifs.
• 11 février 1985 : Le laboratoire américain Abbott dépose le dossier de son test de recherche des anticorps du VIH au Laboratoire national de la santé en vue d’obtenir son agrément.
• 28 février 1985 : Diagnostic Pasteur dépose également une demande d’agrément pour son test. Il le recevra avant le test Abbott.
• Mars 1985 : Les responsables scientifiques de la transfusion sanguine, réunis à Bordeaux, réclament, sur la base d’une enquête réalisée sur 6 000 donneurs, la mise en place d’un dépistage systématique. « Le "bruit de fond" des séropositifs est de 0,3 % à 0,6 % et ces chiffres sont encore plus élevés dans les prisons. » (Le Monde, 19 novembre 1991.)
Le CTS de Lyon cesse de produire des concentrés non chauffés.
• 2 mars 1985 : Abbott reçoit l’autorisation de mise sur le marché de son test de dépistage aux Etats-Unis.
• 12 mars 1985 : Une note interne à la DGS relate les premiers résultats d’enquêtes effectuées à la banque du sang Necker et au CTS Cochin en vue d’apprécier le risque de contagiosité de l’infection par le VIH à travers la transfusion sanguine : « Si la proportion de donneurs LAV positifs constatés au cours de l’enquête Cochin est représentative de la situation parisienne (6 pour mille), il est probable que tous les produits sanguins préparés à partir de pools de donneurs parisiens sont actuellement contaminés. »
• Avril 1985 : Le rapport Ruffié sur « La transfusion sanguine et les dérivés sanguins » est remis à Edmond Hervé ; il intègre des mises en garde sérieuses sur le fonctionnement de la transfusion sanguine (le Monde, 27 avril 1987).
• 25 avril 1985 : Le Dr Robert Netter adresse une lettre à Edmond Hervé lui expliquant qu’il ne lui paraît « pas possible dans les circonstances actuelles de surseoir plus longtemps à cet enregistrement (celui du test de dépistage Abbott) sans risquer un recours en Conseil d’Etat pour abus de pouvoir» (in rapport Lucas). [Les différents documents disponibles sur la validation en France du test de dépistage, pour laquelle une société française (Pasteur) et une société américaine (Abbott) étaient en compétition, montrent que les choix qui ont été faits l’ont été davantage en fonction de préoccupations politiques et économiques que médicales. En particulier, un dossier complémentaire d’évaluation du test de la société Abbott a été exigé, alors qu’une analyse objective de la situation aurait dû au contraire, compte tenu de la gravité et de l’urgence, conduire à la mise en place d’un processus de validation accéléré. Rappelons que le test Abbott a été autorisé sur le marché américain le 2 mars 1985 et qu’il le sera en France le 25 juillet 1985, soit cinq mois plus tard.
Sur ce sujet, Michel Lucas écrit dans sa conclusion : « (...) Dans le calendrier décisionnel français, un certain délai dans la prise de conscience a pu être, en partie, compensé pour le dépistage du virus, il l’a été plus difficilement pour son inactivation (...).» Ce «en partie» et ce « plus difficilement » sont lourds de sens. Pour ce qui concerne le test de dépistage, c’est au niveau politique que se situent les responsabilités, et une lettre datée du 25 février 1985, reproduite en annexe 8 du rapport Lucas, les souligne. Le Dr Alain Leblanc, alors au secrétariat d’Etat à la Santé, écrit au directeur du LNS pour lui faire part de ses réserves concernant le test Abbott et surtout lui rappeler qu’il ne peut agir qu’en fonction des responsabilités qui lui sont confiées par le décret du 8 septembre 1982, ce qui l’amène à conclure qu’il ne pourra, « sur la base de ce seul décret, différer bien longtemps la délivrance d’une attestation d’enregistrement ». La lettre du 25 avril du Dr Netter à E. Hervé prouve que le message a été bien reçu puisqu’elle intervient, jour pour jour, deux mois plus tard.]
• 7 mai 1985 : Le Dr Garetta écrit au Dr Netter (directeur du LNS) et le prévient que le CNTS met en œuvre un processus de fabrication de produits chauffés en accord avec la firme autrichienne Immuno.
• 9 mai 1985 : Lors d’une réunion interministérielle sur le sujet (in extenso dans le rapport Lucas), Edmond Hervé estime qu’il n’est pas prouvé que la généralisation du test soit une mesure positive en termes de santé publique, puisque : 1) les cas de sida post-transfusionnels sont assez rares, 2) la généralisation de ces tests n’aurait aucun effet de freinage sur la maladie.
•13 mai 1985 : Le comité consultatif national d’éthique demande un rapport au Pr Bastin, dans lequel celui-ci écrit : « En 7 982, il était parfaitement acquis que le virus du sida pouvait aussi infecter un organisme par le passage de sang contaminé d’un individu à un autre (...). Il est bien évident que l’on se retrouve en présence de risques indiscutables, parfaitement réels et relativement importants, et qu’il convenait de prendre des mesures. »
• 29 mai 1985 : Le procès-verbal de la réunion présidée par le Dr Garetta, avec des médecins et des chercheurs du CNTS, rapporte ces propos : « Tous nos lots sont contaminés à 700 % (...). C’est aux autorités de tutelle de prendre leurs responsabilités. » (Cf. le Canard enchaîné, 14 février 1989 et l’EDJ, juin 1991.) A cette même date, le Pr Montagnier vérifie et certifie un procédé de chauffage de produits sanguins élaboré par le CTS de Lille, qui, à partir de juin, ne délivrera plus que des produits chauffés ; il proposera ce procédé au CNTS, qui restera sourd.
• 30 mai 1985 : Le Dr Habibi remet son rapport, « Sida et transfusion sanguine », aux autorités ministérielles de la santé. Il est aujourd’hui accusé par l’Evénement du jeudi de l’avoir truqué à l’initiative du Dr Garetta. Les conclusions de ce rapport déformeraient la teneur des propos tenus lors de la réunion du 14 mai 1985, durant laquelle tous les experts se seraient prononcés pour le retrait des produits non chauffés (le Monde, 2 novembre, et Libération, 5 novembre 1991 ).
• 19 juin 1985 : Au cours d’une réunion du Comité national de l’hémophilie dans le locaux du CNTS, présidée par le Dr Garetta, aucune mention n’est faite des lots contaminés, et le principe de quelques mois de transition dans le remplacement des produits non chauffés (contaminés à 100 %) par les produits chauffés (décontaminés) est accepté à l’unanimité.
•19 juin 1985 : Le Premier ministre, Laurent Fabius, annonce à l’Assemblée que des mesures vont être prises pour assurer la distribution de produits sanguins chauffés et le dépistage des donneurs (cf. arrêté du 23 juillet 1985).
• 21 juin 1985 : Le test Diagnostic Pasteur reçoit son AMM français, soit quatre mois après le dépôt du dossier.
• 3 juillet 1985 : Au CNTS, on précise aux médecins prescripteurs que les concentrés non chauffés doivent être utilisés jusqu’à épuisement des stocks par les malades connus anti-LAV positifs. Une lettre du Dr Habibi, adressée à des responsables parisiens de transfusion, demande que les produits chauffés soient exclusivement réservés aux hémophiles encore séronégatifs. Pour les hémophiles séropositifs, «les concentrés non chauffés doivent être utilisés jusqu’à l’épuisement des stocks » (le Figaro, 6 juin 1991).
• 5 juillet 1985 : Le Pr Boneu de Toulouse s’élève contre la décision du ministère de continuer la distribution des produits non chauffés et plaide pour intensifier l’importation des produits chauffés.
• 22 juillet 1985 : Dans un rapport établi à la demande du secrétariat d’Etat à la Santé par des spécialistes du sida, on peut lire : « Un résultat positif n’a pas de valeur pronostique pour un individu donné. En d’autres termes, cette observation ne permet pas de savoir si l’individu en question sera ou non atteint du sida. De plus, la probabilité de cet événement est faible. Moins de 70 % des individus séropositifs manifesteront la maladie dans un délai de trois à cinq ans. » (Le Monde, 11 septembre 1991.)
• 23 juillet 1985 : Il est décidé, par arrêté ministériel, que les produits non chauffés ne seront plus remboursés à partir du 1er octobre 1985 et qu’un dépistage systématique sera réalisé pour tous les dons de sang à partir du 1er août 1985. [Enfin !... mais cette décision intervient neuf mois après les recommandations officielles du CDC aux Etats-Unis et ne sera en vigueur que deux mois plus tard. Elle n’a surtout été encadrée, à aucun moment, des différentes mesures qui auraient permis, en attendant, de réduire au maximum les conséquences de l’épidémie pour les hémophiles. Comment se fait-il que l’on n’ait pas proposé systématiquement aux hémophiles de revenir à l’emploi de cryoprécipités, certes moins pratiques et moins efficaces, mais beaucoup plus sûrs, et ce dès le début de l’identification du risque transfusionnel et a fortiori dès lors que les experts ont eu la conviction que tous les concentrés plasmatiques non chauffés étaient contaminés. Comment se fait-il que leur emploi ait été poursuivi, y compris dans leurs indications préventives, et non pas strictement limité aux indications les plus formelles ? Comment se fait-il, enfin, qu’après cette décision officielle la délivrance des produits non chauffés ait été poursuivie ?
Cette dernière question, qui est la plus grave, trouve probablement en partie une réponse dans les deux précédentes. Dès lors qu’aucune mesure effective de prévention n’avait été prise, il devenait chaque jour plus difficile de répondre correctement à la situation créée. La politique menée jusqu’en octobre 1985, par l’ensemble des responsables, concernant l’information, la prévention et le traitement des personnes hémophiles se révèle a posteriori la pire, comme si les uns et les autres s’étaient enfermés dans des erreurs successives et que personne ne pouvait redresser la barre. Sans minimiser certaines responsabilités individuelles, on ne peut que constater, au bout du compte, une erreur collective grave, à laquelle chacun, à sa mesure, a contribué.1+
• 25 juillet 1985 : Le test Abbott reçoit son autorisation de mise sur le marché, un mois après le test diagnostic Pasteur.
• 23 août 1985 : Une note émanant du CNTS stipule : « Pour tous les produits non chauffés, chercher à les distribuer à des hémophiles séropositifs à Orsay et à Saint-Antoine. » (Note qui contredit ce que soutient le Dr Garetta, selon qui le dernier lot de produits non chauffés a été écoulé le 30 juillet 1985.)
1987 à 1990
• Février 1987 : Le gouvernement décide d’abandonner le système de « cotation provisoire » pour les frais induits par la réalisation du test de dépistage, le remboursement étant enfin acquis quels que soient le fabricant et le lieu de dépistage. Les centres de transfusion sanguine, les seuls où le test était systématique et gratuit, étaient en effet devenus pour beaucoup de personnes une manière simple d’accéder au test de dépistage... ce qui risquait d’augmenter le nombre de donneurs potentiellement infectés et, par conséquent, celui des dons contaminés mais non reconnus comme tels, du fait du délai de séroconversion.
• Octobre 1988 : L’AFH lance un appel aux pouvoirs publics demandant l’indemnisation des hémophiles contaminés.
• 1988 : Les CDAG sont mis en place.
• 1989 : Quatre ans après les dernières contaminations de 1 200 hémophiles et la mort de plusieurs d’entre eux, un système d’indemnisation - baptisé Fonds national de solidarité -, associant des fonds publics et privés, est créé.
• 11 août 1989 : Dans une note remise à Claude Evin, alors ministre de la Solidarité, le Dr Garetta affirme notamment que « environ 3 600 personnes vivantes ont été contaminées par le sida après une transfusion sanguine, mais la plupart ne le savent pas. Beaucoup ignorent même avoir été transfusées ; il n’est pas raisonnable de laisser ces personnes dans l’ignorance de leur état» (le Monde, 22 octobre 1991).
• Novembre 1989 : Début de l’instruction du juge Foulon, suite à des plaintes déposées par des hémophiles. 1991
• 3 juin 1991 : Démission de Michel Garetta suite à la campagne de presse sur le « scandale du sang contaminé ».
• 10 septembre 1991 : Le rapport Lucas est rendu public ; il confirme un certain nombre d’informations publiées.
- Fin 1984 et 1985 : le CNTS a laissé circuler, en toute connaissance de cause, les produits contaminés destinés aux hémophiles.
- La firme Travenol avait proposé dès 1983 des produits chauffés au CNTS, sans réaction de sa part. - Bien que des experts préconisaient de remplacer les produits habituels des hémophiles par des cryoprécipités, moins dangereux, ces recommandations ont été négligées. - Le CNTS a délibérément cherché à épuiser ses stocks de produits contaminés au-delà de juin 1985 avant de distribuer les produits sains qu’il savait enfin fabriquer.
• 4 octobre 1991 : Les responsables de l’AFH sont reçus par MM. Durieux et Bianco. L’accès au Fonds national de solidarité créé en 1989 par Claude Evin, alors ministre de la Santé, pour les hémophiles contaminés, sera étendu à toutes les personnes infectées par le VIH à la suite de transfusion sanguine (le Monde, 7 octobre 1991).
• 21 octobre 1991 : Le Dr Garetta, directeur général du CNTS, est inculpé d’infraction à la loi sur les fraudes. Les Drs Roux et Netter, deux anciens hauts responsables du ministère de la Santé, ont été inculpés de « non assistance à personne en danger ». Ces trois inculpations sont prononcées dans le cadre de l’instruction menée depuis deux ans par le juge Foulon.
• Octobre 1991 : Le rapport sur la FNTS (organisme qui chapeaute le CNTS) commandé par Pierre Bérégovoy à l’inspection des Finances révèle une dette de 200 millions de francs et un déficit d’exploitation de 123 millions de francs en 1990 dû à une gestion désinvolte et aux dépenses de ses dirigeants.
• 24 octobre 1991 : Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale, annonce qu’il porte plainte pour diffamation contre). Roux, qui avait affirmé, le 15 octobre, dans le Monde, que, « en 7 984, le Premier ministre a prélevé sur le chapitre prévention de la DGS une somme de plusieurs millions ».
• 3 novembre 1991 : Le président de la République, François Mitterrand, interrogé sur la Cinq par Jean-Pierre Elkabbach, déclare que, conformément au souhait exprimé maintes fois par les associations d’hémophiles et de transfusés, le droit à l’indemnisation sera reconnu et régi par une loi de même nature que celle pour les victimes d’attentat.
• 4 novembre 1991 : Le Dr Allain, ancien chef du département recherches du CNTS, est inculpé pour infraction à la loi sur les fraudes ; il s’agit de la même inculpation que celle retenue contre le Dr Garetta. Sa mise en cause porte sur la réunion du 29 mai 1985.
• 21 novembre 1991 : Le ministère des Affaires sociales présente un projet de loi qui prévoit la création d’un « fonds d’indemnisation tenu de présenter à toute victime (contaminée par le VIH suite à une transfusion de sang ou de produits sanguins) une offre d’indemnisation dans un délai de trois mois. (...) Ce fonds sera notamment alimenté par un prélèvement sur les contrats d’assurance dommages ».
16 000 contaminations
Une étude réalisée sous l’égide de l’ANRS en 1990 permet d’évaluer le nombre de personnes contaminées par le VIH suite à des transfusions de produits sanguins ou dérivés. Le nombre d’hémophiles infectés est estimé à 1 200, pour une population qui compte environ 3 000 personnes. En ce qui concerne les personnes transfusées, l’évaluation est plus difficile. Différentes méthodes aboutissent à une estimation qui se situe entre 2 100 et 7 700 personnes. Une estimation moyenne permet donc de penser que, au total, environ 6 000 personnes ont été contaminées suite à l’utilisation de produits sanguins et ce, majoritairement, entre 1980 et le premier semestre 1985.
Source : « La prévalence de l’infection par le VIH en France en 1989 », BEH n° 37/1990.
De la responsabilité
« C’est une affaire grave. Est-elle scandaleuse ? (...) Sur le plan humain comment ne pas éprouver une immense compassion ? (...) Puisqu’ils ont à se plaindre, quelque part, de l’erreur dont ils souffrent actuellement, il faut bien que le partage des responsabilités soit fait. On leur doit, je leur dois justice. »
En répondant ainsi à J.-P. Elkabbach, le président de la République met bien en lumière les trois différents niveaux de signification du terme même de responsabilité : un état (les parents sont responsables des dommages causés par leurs enfants), une capacité (la responsabilité est fonction du discernement dont peut faire preuve l’individu) et une obligation (être responsable, c’est avoir à répondre). C’est précisément toute la question que doivent désormais se poser, au vu de cette affaire, les différents gouvernements, les scientifiques en général, le corps médical, le monde des médias... tout le monde en particulier, dans la nécessité d’enfin comprendre la responsabilité comme une obligation de répondre de soi-même à soi-même.
AFH : Association française des hémophiles.
ADT : Association de défense des transfusés.
AMM : Autorisation de mise sur le marché.
CDAG : Centres de dépistage anonyme et gratuit.
CDC : Centers for Disease Control.
CNTS : Centre national de transfusion sanguine.
DGS : Direction générale de la santé.
BEH : Bulletin épidémiologique hebdomadaire.
IGAS : Inspection générale des affaires sociales.
LNS : Laboratoire national d’essais.
CTS : Centre de transfusion sanguine.
FNTS : Fondation nationale de la transfusion sanguine (organisme de tutelle du CNTS).