Prévention
Populations clé

La lutte contre le VIH/sida fait ses premiers pas dans les quartiers chinois

Décembre 2000

8 minutes

Rédigé par Géraldine LEBOURGEOIS

Discrète, la communauté chinoise vit à l’écart des campagnes d’information sur le VIH/sida menées à travers la France. Les actions plus ciblées et destinées à combler ce manque sont très rares. Seule la mission ouverte depuis 1998 au sein d’Arcat-sida commence à poser ses marques.

Trop souvent, la communauté chinoise en France se heurte à une barrière linguistique. Beaucoup de ses membres maîtrisent mal le français, ce qui ne leur permet pas d’accéder aux services de santé mis à leur disposition. Cette situation engendre des attitudes de retrait face à la question du VIH/sida, un sujet qui est, de plus, tabou, une « maladie sexuelle », intime et malheureuse dont les Chinois n’aiment pas parler. Aujourd’hui, une majorité d’entre eux reste ainsi sur des idées toute faites à propos de l’épidémie et rient, gênés, quand on leur parle de préservatif. Les conventions sociales profondément enracinées mettent en avant les liens familiaux. Comment pourraient-ils reconnaître qu’ils ont besoin de moyens de contraception tout en niant une infidélité ? Jérôme C., de l’Eglise missionnaire évangélique de France, à Paris, témoigne : « Même parmi les jeunes, plus libérés que leurs parents, et parmi la nouvelle vague de jeunes migrants, âgés d’une vingtaine d’années pour la plupart et célibataires, il est difficile de dire quelles sont leurs pratiques sexuelles... Mais, une fois marié, la famille est une valeur fondamentale à laquelle tout Chinois est attaché. On aime croire en la fidélité... » 

Les femmes acceptent ces comportements à leurs risques et périls car ce sont les hommes qui décident. En général, les Chinoises n’utilisent aucune contraception. La plupart d’entre elles se disent : « Si je m’intéresse aux moyens de contraception et aux maladies sexuellement transmissibles, on va croire que je fais partie de cette population libertine. » Aussi, par peur d’être exclus, et dans la crainte de la stigmatisation, même ceux qui sont touchés par le VIH/sida préfèrent garder le silence. Ils restent seuls face à leur souffrance. Certains préfèrent même ne pas savoir s’ils sont séropositifs ou malades... Selon les statistiques de l’Institut national de veille sanitaire (InVs), en 1998, 14 % des cas de sida déclarés en France touchaient des étrangers, alors qu’ils ne représentent que 6 % de la population totale ; 278 cas ont été recensés dans la communauté « asiatique », qui englobent les personnes infectées principalement originaires du Laos, du Cambodge et du Vietnam, mais également de Turquie ou du Liban. Il y a aussi dans cette communauté asiatique 131 « autres », parmi lesquels on « devine » les ressortissants de la communauté chinoise vivant en France. Ces chiffres trouvent écho auprès des professionnels de santé parisiens. Pourtant, pas plus que les responsables du Centre de dépistage anonyme et gratuit (Cdag) du 13e arrondissement, le Dr Mily Ko, médecin généraliste, n’a jamais croisé de patients chinois concernés par le VIH/sida. Selon elle, « s’ils ont ce genre de problèmes, ils se rendent directement en centre hospitalier ».

Intervenir en respectant les préoccupations de la communauté

« La venue de patients d’origine chinoise est très marginale, explique cependant Nathalie Venin, cadre infirmier au service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. De toute façon, ces personnes ne pré sentent aucune spécificité. » L’InVs confirme que les Asiatiques vivant en France sont atteints par le sida de la même façon que les Français, du moins pour les cas déclarés, les seuls que l’on puisse officiellement prendre en compte. Mais combien restent cachés, notamment du fait des difficultés de communication avec les professionnels de santé et de la persistance de connaissances erronées ?

Beaucoup de Chinois font appel à la médecine traditionnelle, et Lily H., habitante du 13e arrondissement, de témoigner : « Certains médecins traditionnels prétendent que le VIH se transmet par la sueur, les larmes, la salive... Ils nous induisent en erreur. Si on était mieux informés, nos craintes seraient moins grandes. Nous avons conscience que la maladie est présente autour de nous.

Aussi avons-nous peur d’être infectés : un accident peut toujours arriver ! Par exemple, j’aimerais savoir si on ne risque pas d’être contaminé quand on se rend au centre de dépistage ? » Des interrogations lourdes de sens... Comme pour toute approche d’un groupe humain, sans vouloir utiliser des spécificités à des fins ségrégationnistes, les caractéristiques culturelles, sociales et économiques de la communauté chinoise permettent de comprendre les attitudes face à la maladie et d’adapter les actions de lutte contre le VIH/sida. Une approche communautaire de proximité ainsi construite permet de pallier le manque actuel d’information à propos de la maladie et d’améliorer la prévention, l’éducation et les réseaux de soutien à développer pour les Chinois touchés par le VIH/sida. Des structures comme Sida Info Service (SIS) se sont déjà engagées depuis plusieurs années dans la lutte contre l’épidémie auprès des migrants. SIS est à leur écoute via un numéro vert, ou encore en éditant pour eux la brochure « Migrants et VIH ». Si l’association n’enregistre que très peu d’appels de Chinois, ils ont pu remarquer que cette communauté, comme toutes les autres, a sa façon d’interpréter la maladie. Malheureusement, les structures où l’on peut les accueillir dans leur langue manquent cruellement.

Arcat-sida est la première association à avoir établi un lien avec la communauté chinoise. Elle leur offre la possibilité de s’exprimer dans leur langue maternelle. Chargée de mission pour la formation et l’information auprès des migrants asiatiques, Te-Wei Lin parle français, anglais, mandarin et deux dialectes chinois, le cantonais et le taïwanais. Formée en santé publique, elle a également pu développer des outils de communication pour aborder le VIH/sida en chinois. Lors des premières réunions d’information animées avec le Dr Christine Etchepare, la stratégie a été de parler dans un premier temps du système immunitaire. Elles ont ensuite abordé progressivement les caractéristiques du virus, de l’épidémie, pour finir sur les soins et les moyens de prévention. Seuls quelques auditeurs ont osé participer à ces rencontres. Ils connaissaient des grandes généralités sur la maladie et ont surtout posé des questions à propos des centres de dépistage, des analyses qui peuvent y être faites, etc. Une de leurs principales préoccupations était de savoir si, dans ces centres, on parlait chinois... La réponse est négative... pour l’instant.

Le programme lancé par Arcat-sida s’étend sur plusieurs mois. Il est orienté en fonction des intérêts et des réactions des participants. Le travail ne fait que commencer, mais l’objectif clairement affiché est que le « message », un jour, devra circuler sans heurter les sensibilités. « Qu’il y ait beaucoup de personnes ou non n’a, à l’heure actuelle, aucune signification en termes d’efficacité. Seul l’avenir dira si nous avons eu raison de mettre sur pied un tel programme et si nous avons réussi dans notre mission d’information et de prévention. Même si l’on touche peu de monde, comme cela m’est déjà arrivé en Afrique, on peut savoir en effet, avec le recul, si l’on a été efficace, remarque Christine Etchepare. Les femmes africaines venues à nos réunions ont monté une association et sont aujourd’hui les premières à faire circuler les informations. A partir d’un groupe d’influence, le message peut faire tâche d’huile. » Ce sont les membres vivant au sein de la communauté et qui en connaissent bien les coutumes qui pourront par la suite signaler les effets, positifs ou négatifs, des interventions sur les comportements. Il faut un certain délai entre la réalisation des campagnes et l’intégration des informations au sein de la communauté ciblée. Dans quelques temps, on pourra alors demander aux commerçants de quartier si les ventes de préservatifs ont augmenté, ou encore si les Chinois consultent davantage les Cdag. Pour l’instant, il est trop tôt.

La sensibilisation de la communauté chinoise ne fait que commencer

Le programme d’information sanitaire en chinois a été mis en place en 1998 par Arcat-sida pour communiquer sur la maladie et d’autres pathologies transmissibles importantes. Des affiches sur la prévention en français et en chinois ont ainsi été placardées dans les quartiers asiatiques. Depuis, un programme de formation est dispensé dans les locaux de l’association, et des stands d’information sont tenus régulièrement. Des listes de partenaires potentiels, de médecins d’origine chinoise exerçant à Paris et d’associations chinoises ont été dressées. « Nous avons souhaité mettre en place des réunions au sein des associations, notamment dans les 13 et 18e arrondissements.

Si des responsables refusent parfois une information sur le VIH/sida, ils acceptent en revanche de parler d’hépatite C. C’est ainsi que nous avons pu lancer le processus », ajoute Te-Wei Lin. Généralement, les responsables sont ouverts à ces interventions, comme en témoigne Jérôme C. « En accueillant des initiatives comme celle-ci, dit-il, nous pouvons espérer apporter un peu plus d’informations, en particulier auprès des jeunes. »

« Peu de Chinois font la démarche de venir en dépistage au sein de notre centre, estime pour sa part Elisabeth Camelin, assistante sociale et responsable administrative du centre médico-social, rue de Belleville. Même par l’intermédiaire du Bus des femmes, qui circule auprès des prostituées et qui les oriente vers nous, nous n’avons pas de contact avec les Asiatiques. C’est pourquoi nous souhaitons développer des partenariats avec des associations comme Arcat-sida. Leur bonne connaissance de ces populations favorisera les actions de prévention et nous pourrons alors proposer nos services de santé aux habitants de notre quartier. » De tels engagements sont loin d’être inutiles car, pour l’instant, les personnes infectées par le VIH d’origine chinoise vivent de véritables drames. « De plus en plus de jeunes femmes arrivent clandestinement de Chine pour se prostituer. Elles sont nombreuses, dispersées dans des appartements discrets, mais connues par le bouche-à- oreille, témoigne Te-Wei Lin. Elles sont, évidemment, très mal informées. C’est ainsi qu’une prostituée malade n’a pas voulu venir nous voir. Elle ne savait pas qu’elle pouvait être soignée gratuitement. Les gens de sa communauté lui ont conseillé de quitter la France et de retourner dans son pays d’origine. Or, là-bas, elle risque d’être punie, d’être mise en prison, si elle déclare sa maladie. »

Des actions efficaces, un projet ambitieux

Les initiatives d’Arcat-sida sont soutenues par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité et par le Comité français d’éducation pour la santé (CFES), qui ont pour objectif de favoriser ainsi l’amélioration de la prévention auprès des étrangers vivant en France. Outre la diffusion de brochures bilingues (1) pour faire connaître la maladie, informer sur la prévention et donner des contacts permettant aux personnes concernées de s’informer et de consulter, ces institutions se sont engagées à soutenir d’autres actions complémentaires. Exemple : depuis un an, Arcat-sida diffuse régulièrement des informations autour de la santé à travers l’un des seuls journaux chinois de France, Libellule Magazine (voir encadré). 

D’autres médias ont aussi permis, plus ponctuellement, de faire connaître les actions d’Arcat-sida à destination des populations asiatiques. En 1999, Radio France internationale a ainsi diffusé quelques émissions en français et en chinois à destination de ses auditeurs en France et en république populaire de Chine. Depuis, de plus en plus de personnes participent aux rencontres organisées dans les quartiers, téléphonent et posent des questions à propos des soins, des consultations hospitalières... Certains s’interrogent plus particulièrement sur les problèmes gynécologiques, les hépatites, le cancer du foie... Pour l’instant, aucun n’a encore osé aborder directement le sujet du sida. Certains demandent où se procurer des préservatifs, sous couvert de : « C’est mon frère qui me demande de venir en chercher pour lui. » Ceux qui le souhaitent, mais qui parlent mal français, sont accompagnés dans leurs démarches quand ils veulent se rendre dans les centres de dépistage ou à l’hôpital. Arcat-sida souhaite d’ailleurs développer des coopérations avec des établissements de santé en leur envoyant un médiateur parlant le mandarin et a pris contact en ce sens notamment avec l’Institut Fournier et l’hôpital du Kremlin- Bicêtre. Il y a là un travail de fond à faire. Te-Wei Lin qui a, bénévolement, déjà accompagné une vingtaine de personnes, âgées de 20 à 30 ans, le sait mieux que quiconque. « Je suis infirmière, dit-elle, et donc capable de suivre les dossiers, d’informer les personnes concernées, mais, ce qui compte avant tout, c’est d’assurer aussi la relation entre le médecin, le patient, et parfois sa famille. »

Te-Wei Lin veut aller beaucoup plus loin. Elle s’est fixé un objectif très ambitieux pour les années à venir : favoriser les échanges d’informations entre l’Europe et l’Asie, et elle travaille, depuis quelques mois déjà, en ce sens. Les soutiens qu’elle a obtenus, à force de ténacité, devraient lui permettre de mener son projet.

1. « Le sida et nous », collection VIH/sida, Comité français d’éducation pour la santé.

Information et sensibilisation

Créé en 1998, Libellule Magazine est une publication bilingue (chinois-français) tirée à 10 000 exemplaires et diffusée gratuitement. Elle aborde tous les sujets : les voyages, la vie quotidienne, la mode... ou encore la santé. Dans cette dernière rubrique de deux pages, l’une est réservée à Arcat-sida depuis novembre 1999. Dans le numéro de décembre 1999, elle était consacrée à l’hépatite C. Aurélia Kong, rédactrice en chef, explique tout l’intérêt d’un tel échange : « Face à des sujets aussi délicats, il fallait se donner les moyens de décrire correctement les maladies tout en tenant compte de l’esprit conservateur des Chinois. En leur donnant le moyen de s’informer discrètement, à l’abri du regard des autres, le journal espère sensibiliser beaucoup de monde. On a d’ailleurs déjà reçu quelques appels de lecteurs, qui souhaitent des informations sur les médicaments chinois, par exemple. »

• Libellule Magazine. 22. rue Saint-Augustin, 75002 Paris. Tél. : 01 44 71 09 02.

Des échanges fructueux

Deux délégués chinois, travaillant pour le planning familial, ont été accueillis il y a peu par des associations de prévention du VIH/sida et dans des centres de planning familial français. Il s’agit de les aider à mettre en place des actions de prévention et de lutte contre la maladie dans leur pays. Pour plus d’un milliard d’habitants, la Chine ne comptait en 1999 que 500 000 personnes infectées par le VIH/sida (source : Onusida/ OMS). L’épidémie prend de l’ampleur puisque, en 1993, on ne recensait, officiellement, que 10 000 cas. L’épidémie de sida ne s’est répandue que relativement récemment en Asie, et seul un petit nombre de pays ont mis en place des systèmes de surveillance. A Taïwan et à Hong-Kong, le dépistage des dons du sang commencent à peine et les informations ne circulent que depuis peu de temps. Les efforts déployés par les autorités locales et soutenus par les organisations internationales ne sont pas encore à la hauteur du problème qui est en train d’émerger.

Article du JDS #131

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