Rétinite à CMV
La rétinite à cytomégalovirus (CMV) est une infection opportuniste grave de l’œil. Les traitements actuels, administrés par voie intraveineuse, posent des problèmes tant au médecin qu’au malade. Un traitement local, en cours d’évaluation, pourrait améliorer la qualité de vie tout en étant très efficace.
Certains malades du sida sont atteints d’une infection opportuniste due à un virus, le cytomégalovirus (CMV) qui peut toucher la rétine (1) de l’œil, élément essentiel de la vision. Si elle n’est pas traitée, cette infection appelée rétinite à CMV aboutit toujours à la perte complète de la vision (ou cécité), du fait de la destruction de la rétine. Elle constitue aujourd’hui la première cause d’infection opportuniste de l’œil au cours du sida et concerne environ un malade sur cinq à un moment ou à un autre de l’évolution de la maladie. Néanmoins, la rétinite à CMV survient le plus souvent à un stade avancé de la maladie, quand le nombre de lymphocytes CD4 est déjà bas (moins de 100 CD4/mm3).
On surveillera tout particulièrement une atteinte unilatérale de la vision, ou un petit déficit dans le champ visuel. De façon systématique, certaines équipes habituées à la prise en charge de l’infection à VIH préconisent pour les personnes séropositives, en particulier pour celles qui ont un taux faible de lymphocytes CD4, un examen régulier du fond d’œil tous les deux ou trois mois afin de rechercher, entre autres, l’existence éventuelle de cette infection avant que les signes en de viennent évidents.
Le fond d’œil est un examen facile, qui peut être pratiqué par tout ophtalmologue tant à l’hôpital qu’en ville. Il permet le plus souvent de faire le diagnostic de l’infection s’il montre des lésions typiques. En cas de doute, d’autres examens sont nécessaires pour le confirmer. Une fois le diagnostic établi, un bilan complet est nécessaire; il permet de préciser au mieux les lésions et leurs retentissements, ce qui nécessite un examen biologique ainsi que plusieurs examens complémentaires.
Traitements classiques
Il existe actuellement deux médicaments efficaces pour lutter contre cette rétinite. Ils ne peuvent être pris que par voie intraveineuse. Ce sont le ganciclovir (Cymévan®) et le foscarnet (Foscarvir®). Ces deux produits ne sont disponibles qu’à l’hôpital. Quel que soit le médicament choisi, le traitement d’attaque (2) représente une astreinte importante pour le malade. Il dure en effet trois semaines, comporte un risque important d’effets secondaires et nécessite une surveillance rigoureuse comprenant des examens cliniques, biologiques et complémentaires. Au prix de ces contraintes, les traitements d’attaque sont efficaces dans environ trois cas sur quatre. Leur efficacité est évaluée par des examens complémentaires qui permettent de montrer une diminution partielle ou totale de la rétinite et la cicatrisation des lésions. En cas d’échec, ces dernières progressent malgré le traitement.
Si on peut donc considérer que ces traitements sont le plus souvent efficaces, ils posent néanmoins de sérieux problèmes. En premier lieu, un problème de toxicité peut parfois nécessiter leur arrêt: atteinte rénale pour le foscarnet et toxicité hématologique avec notamment neutropénie (diminution des polynucléaires neutrophiles) pour le ganciclovir. De ce fait, l’association de ces produits avec d’autres médicaments, comme le Rétrovir® ou le Bactrim® (pris dans le cadre d’un autre traitement, comme la pneumocystose par exemple), peut entraîner des problèmes liés à l’addition des toxicités de chacun. Ceci impose dans chaque cas une évaluation des bénéfices et des risques, quipeut parfois conduire à l’arrêt de l’un ou l’autre de ces traitements. En pratique, on arrête souvent le Rétro vir® pour commencer le traitement anti-CMV.
Enfin, du fait de la nature même du ganciclovir et du foscarnet, qui ne font que bloquer le CMV mais ne le détruisent pas (ils sont virustatiques), les rechutes sont systématiques si l’on ne maintient pas un traitement d’entretien permanent après un premier épisode de rétinite.
Un traitement à l’étude
Pour tenter de répondre en partie à ces problèmes et améliorer tant l’efficacité du traitement que le confort du malade, un traitement de ganciclovir par voie locale (directement au niveau de l’œil) est actuellement tenté et évalué. Cette démarche suit la même logique que celle qui a prévalu à l’administration des aérosols de pentamidine directement au niveau du site de la pneumocystose, les poumons. Les bénéfices espérés avec cette technique d’injections locales sont : une action directe au site de l’infection; une concentration importante du produit, même à doses faibles; la diminution voire la suppression des effets secondaires toxiques observés lors des injections intraveineuses; la poursuite possible des autres traitements en cours; l’obtention d’un meilleur confort pour le malade du fait de l’espacement des applications. Ce traitement par voie locale se fait par injections directes du médicament dans le blanc de l’œil, après anesthésie locale par collyre. Ce type d’injection est relativement simple en lui-même mais nécessite une technique et une asepsie rigoureuses. Une heure avant l’injection, un traitement préventif permet une bonne préparation de l’œil et une plus grande décontraction du malade (un demi- comprimé de Diamox® pour diminuer la tension de l’œil et un anxiolytique pour une meilleure relaxation).
Pour une efficacité semble-t-il équivalente à celle des traitements généraux, le traitement local présente plusieurs avantages. C’est ce que montre une étude française, récemment publiée (3), qui concerne 17 malades atteints de rétinite, 8 d’entre eux présentant une atteinte des deux yeux. Avec des contraintes moindres pour le malade (deux injections locales par semaine contre deux par jour par voie intraveineuse), l’efficacité du traitement d’attaque semble comparable à celle des cures intraveineuses classiques. «Les 23 cures d’attaque qui ont pu être évaluées, écrivent ainsi les auteurs, ont toutes entraîné une guérison. Le nombre moyen d’injections était de 6,2, ce qui correspond à une durée moyenne de traitement de 18 jours.»
Le traitement d’entretien (une injection par semaine) «semble également aussi efficace, poursuivent-ils, avec un taux de non rechute dans plus de deux cas sur trois à 48 jours.» Ces résultats sont encourageants, mais un recul plus important ainsi qu’un plus grand nombre de malades traités par cette technique sont nécessaires pour conclure. En termes de toxicité, il n’a pas été observé de complications majeures à la suite des 231 injections effectuées par cette équipe.
Les limites du traitement local
Par définition, ce traitement agit uniquement sur l’œil, ce qui le contre- indique lorsque le CMV atteint d’autres organes du corps humain. Il faut alors revenir au traitement par voie générale. Lors du traitement d’un premier œil par injections locales au cours de cette étude, un malade a dû abandonner et reprendre le traitement par voie intraveineuse, en raison d’une extension de la rétinite à l’autre œil et de l’apparition d’une atteinte digestive due au même virus. Ce traitement local représente donc «en l’absence de traitement par voie générale satisfaisant et dénué de risques, un traitement utile en cas de rétinite isolée». Un autre inconvénient réside dans les douleurs secondaires ressenties pendant quelques minutes par 11 des malades immédiatement après l’injection. Ces douleurs étaient d’intensité variable selon les malades et les injections. Si certaines injections ont été complètement indolores, 4 de ces malades ont dû néanmoins interrompre le traitement en raison des douleurs.
Enfin, il semble que peu d’équipes médicales en France soient actuellement capables d’utiliser cette technique particulière d’injections locales. Ce protocole de traitement local de la rétinite peut, sous réserve d’évaluations ultérieures complémentaires, laisser envisager un traitement de cette infection qui éviterait les inconvénients majeurs de celui par voie générale, tant du point de vue de la tolérance que du point de vue du con fort du malade. Ses indications actuelles sont limitées aux malades atteints d’une rétinite isolée (sans autre atteinte organique due au CMV) et qui ne supporteraient pas l’administration intraveineuse des médicaments anti-CMV. «Ces indications, précisent donc les auteurs de l’étude, demeurent une affaire de cas particuliers. Elles sont à discuter entre l’infectiologue, l’ophtalmologiste et le malade.» Enfin, il est permis, comme dans le cadre de la pneumocystose, d’espérer une prophylaxie secondaire (4), voire même à terme une prophylaxie primaire (5) de la rétinite à CMV, bien tolérée et efficace. Cette technique pourrait améliorer encore la vie des malades, pour peu que son évaluation soit poursuivie.
(1) La rétine est la partie sensorielle de l’œil qui tapisse l’intérieur du globe oculaire et capte les signaux lumineux. Sa destruction peut entraîner une perte définitive de la vision.
(2) Le traitement d’attaque désigne tous les traitements entrepris au début d’une infection et qui visent à la traiter.
(3) Isabelle Cochereau-Massin et al. Rétinite à cytomégalovirus au cours du sida, traitement par injections intravitréennes de ganciclovir. La Presse Médicale. 1990; 19: 1313-1316.
(4) La prophylaxie secondaire correspond dans ce cas au traitement d’entretien (une injection par semaine) qui est maintenu pour prévenir une rechute.
(5) La prophylaxie primaire aurait pour but ici d’éviter la survenue d’une rétinite à CMV.
Les signes à surveiller
Toutes les formes de troubles de la vision doivent attirer l’attention, en particulier une atteinte d’un seul œil ou un petit déficit dans le champ de vision. Le plus souvent, l’œil lui-même n’est pas douloureux, il ne démange pas et ne présente pas de rougeur.
Ne pas hésiter à consulter
Si une personne séropositive constate un ou plusieurs troubles de la vision, a fortiori si son taux de lymphocytes CD4 est bas (moins de 200/mm3 par exemple), elle doit consulter un ophtalmologue (spécialiste des maladies de l’œil) pour faire examiner sa rétine par un fond d’œil.
Le fond d’œil
Le fond d’œil est un examen simple et non douloureux. Il consiste à dilater la pupille avec un collyre afin de pouvoir examiner dans sa totalité la rétine de l’œil et porter éventuellement le diagnostic d’une rétinite à CMV. Il est tout à fait normal de ne pas voir correctement durant les deux à trois heures qui suivent l’examen. Ce phénomène est provoqué par la dilatation transitoire de la pupille. Un fond d’œil doit être réalisé systématiquement tous les deux à trois mois pour les personnes séropositives dont le taux de lymphocytes CD4 est bas (moins de 200/mm3 par exemple).
Compte-tenu de la nature de cette infection et de son pronostic en l’absence de traitement, il est impératif pour les malades de consulter systématiquement un ophtalmologue quand apparaissent des signes, même banals, de mauvais fonctionnement de la vision. Toutes les formes de troubles doivent attirer l’attention, en sachant que, le plus souvent, l’œil lui-même n’est pas douloureux et qu’il n’y a pas de rougeur.