Allègement thérapeutique : améliorer la qualité de vie, mais à quel prix ?
Réduire la quantité de médicaments à prendre permettrait de limiter les effets secondaires que causent les traitements contre le VIH, pris à vie. Il faut toutefois s’assurer d’éviter aussi bien des augmentations de la charge virale des patients que des mutations du virus, pouvant mettre des traitements aujourd’hui efficaces en échec.

En 1987, l’AZT, un inhibiteur de transcriptase inverse, a été le tout premier traitement reçu par les personnes infectées par le VIH, administré à des doses massives et souvent toxiques. C’est seulement en 1996 que les toutes premières trithérapies sont mises au point, une combinaison de 3 molécules qui s’attaquent à différents mécanismes de multiplication du virus dans l’organisme pour le contrôler. Ces premières trithérapies - pouvant aller jusqu’à 20 comprimés journaliers - ont largement réduit le taux de mortalité lié au VIH mais s’accompagnaient d’effets secondaires lourds.
Depuis, les trithérapies ont fait du chemin. Des dizaines d’années de recherche ont permis de mettre au point des molécules toujours plus puissantes et moins toxiques. Aujourd’hui, l’éventail des molécules disponibles est large, ce qui permet aux médecins d’adapter le traitement au cas par cas (voir article sur la primo-prescription). Les effets secondaires, bien que réduits, n’ont cependant pas disparu, c’est la prochaine étape à franchir.
Dans ce contexte, la possibilité d’un allègement thérapeutique a le vent en poupe. Deux stratégies se distinguent : une réduction du nombre de molécules par prise (au lieu des 3 molécules classiquement administrées) et la réduction du nombre de prises. L’essai Duetto, qui devrait commencer prochainement le recrutement de ses participants, propose même de combiner les deux stratégies (1)
La bithérapie – en alternative à la trithérapie – n’est pas un concept récent. Depuis environ 15 ans, plusieurs bithérapies ont été testées et ont prouvé une efficacité comparable à la trithérapie classique. Parmi les plus récents, les essais Gemini (traitement initial) et Tango (traitement de maintien) ont validé l’efficacité de la combinaison Dolutégravir/Lamivudine. Celle-ci est d’ailleurs disponible sur le marché depuis juillet 2019 - sous son nom commercial Dovato - comme traitement initial.
Le Dolutégravir est un inhibiteur d’intégrase puissant, d’où le succès du traitement Dovato à obtenir une efficacité comparable à la trithérapie. Sa mise sur le marché reste cependant récente et plus de recul est nécessaire pour pouvoir en tirer des conclusions définitives. D’autres traitements comme le Truvada, qui connaît un franc succès en PrEP (Prophylaxie Pré-Exposition), est composé de deux molécules moins puissantes (l'Emtricitabine et le Ténofovir) généralement associées à une troisième molécule comme traitement classique. Son administration seule dans l’optique d’un allègement thérapeutique doit encore faire ses preuves.
Réduire l’apport médicamenteux, oui, mais pas à n’importe quel prix
Les trithérapies actuelles permettent de maintenir le virus dans le sang des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) à un niveau indétectable. Une notion cruciale à la fois pour limiter les atteintes biologiques du virus dans l’organisme mais aussi pour limiter la transmission du virus dans la communauté. L’allègement thérapeutique doit donc être scrupuleusement encadré pour éviter un rebond de la charge virale. C’est ici que l’allègement thérapeutique se confronte à l’un des plus grands défis dans la lutte contre le VIH : les réservoirs.
Le VIH peut cibler des lymphocytes T CD4 dormants, se loger dans leur génome et ainsi persister pendant des années, à l’abri de tout traitement. C’est ce que l’on appelle les réservoirs et ils sont l’obstacle majeur à la rémission totale de l’infection par le VIH. Un arrêt du traitement se traduit tôt ou tard par un rebond du virus. On comprend donc aisément le challenge que représente un allègement thérapeutique : Il s’agit de trouver la bonne balance pour que la prise médicamenteuse soit la moins lourde possible, tout en maintenant la charge virale indétectable sur le long terme.
Un réveil du réservoir - dû à un traitement insuffisant - soulève aussi la problématique de la résistance du virus aux traitements. A chaque fois que le VIH se réplique, des mutations peuvent apparaître dans son génome et permettre l’échappement aux traitements. Un phénomène à éviter à tout prix, au risque de ne plus pouvoir contrôler efficacement le virus par la suite et de perdre des molécules efficaces. Les chercheurs et cliniciens ont cependant ces éléments bien en tête et le suivi des PVVIH sur le long terme dans les quelques essais menés ou à venir permettent de s’assurer que l’allègement du traitement ne favorise pas l’apparition de résistances.
Parallèlement à la réduction du nombre de molécules, l’allègement thérapeutique peut aussi se traduire par une diminution du nombre de prises. L’essai Quatuor a par exemple testé une prise de trithérapie 4 jours sur 7 en comparaison à une prise quotidienne. Cette stratégie se confronte aux mêmes limites de réservoirs et de résistance que la stratégie de réduction du nombre de molécules. D’autant plus que les études montrent qu’une prise continue du traitement permet de limiter les phénomènes de résistance (2) (2), d’où les avis divergents au sein de la communauté scientifique sur le sujet.
Pourtant, les premiers résultats de l’essai Quatuor montrent que les cas de résistance ont été mineurs (4 cas parmi les 10 cas d’échec viral sur les 636 patients au total). L’adhésion sans faille au programme 4 jours sur 7, avec le suivi médical associé, permettrait de maintenir efficacement la charge virale même durant les 3 jours sans prise. Au contraire, des arrêts intempestifs et de longue durée, à la propre initiative du patient, vont favoriser le rebond du virus logé dans les cellules réservoirs et l’émergence de la résistance. Malgré des résultats encourageants, l’essai Quatuor doit encore livrer ses conclusions sur le long terme ainsi que des informations cruciales telles que la charge virale dans le sperme en lien avec son rôle dans la transmission du virus.
Les réservoirs sont donc l’obstacle qui peut compliquer l’allègement thérapeutique. Des études récentes ont néanmoins montré qu’une prise du traitement de façon très précoce, au plus tôt après l’infection, limite la formation de ces réservoirs (3) (3). Mais bien que ces cellules réservoirs soient moins nombreuses dans l’organisme, on ne connaît pas encore leur répartition au sein des tissus, leur capacité à produire du virus, ni leur diversité selon les patients. De façon générale, le traitement doit être pris à vie.
(1) https://transversalmag.fr/articles/1196-Essai-Duetto-Duo-gagnant-pour-l-allegement-therapeutique-
(2) https://academic.oup.com/cid/article/37/8/1112/435290
(3) https://stm.sciencemag.org/content/12/533/eaav3491
3 questions à Christine Rouzioux, Professeure émérite de Virologie à la Faculté de médecine de Necker, Université Paris-Descartes.
En résumé, quel est selon vous le pour et le contre de l’allégement thérapeutique pour les PVVIH ?
Pour certaines personnes vivant avec le VIH, et traitées depuis de nombreuses années, nous sommes arrivés à un stade où la question d’une très longue exposition aux traitements se pose. Les traitements anti-VIH ne sont pas anodins et peuvent provoquer des effets secondaires à long terme qui auront un impact sur la qualité de vie des PVVIH, d’autant que les traitements doivent être pris à vie. Nous sommes donc aujourd’hui face à des patients qui ont déjà des dizaines d’années de traitements derrière eux et pour lesquels il faut penser sur le long terme. L’allègement thérapeutique est alors une solution qui pourrait être proposée, dans le but de réduire la très longue exposition aux traitements tout en préservant un capital thérapeutique et sans prendre de risque d’évolution de la maladie VIH.
Bien entendu cet allègement ne doit pas être fait à la va-vite car il s’accompagne néanmoins de certains risques. De l’autre côté de la balance il y a en effet un risque de réactivation des cellules réservoirs, en cas de doses insuffisantes, et de développement de mutations de résistance aux traitements. Trop peu d’études ont livré leurs résultats pour le moment. L’essai Quatuor est encore jeune et doit se poursuivre sur le plus long terme afin de s’assurer du bon maintien de la charge virale et de la bonne observance à long terme.
La question de l’allègement thérapeutique est donc complexe - mais pas inatteignable - et devient de toute façon inévitable. Plusieurs types de recherches sur le sujet sont donc nécessaires afin d’offrir une meilleure visibilité sur les mesures à prendre et rendre l’allègement thérapeutique possible sur le long terme.
Allégement thérapeutique : est-ce pour tout le monde ?
Non, en tout cas pas dans l’immédiat. Il faut déjà prendre en compte l’historique de chaque patient. Une personne en début de traitement ne va pas se voir proposer un allègement de la thérapie. Il faut d’abord commencer par un traitement complet, administré le plut tôt possible, composé de molécules antivirales puissantes. Une fois l’équilibre atteint, c’est-à-dire quand la charge virale dans le sang est bien contrôlée au long cours, l’allègement pourrait être envisagé. Cela peut prendre plusieurs années. Ensuite, même si le traitement est bien équilibré, il est nécessaire de mesurer le niveau du réservoir. Un réservoir trop haut a plus de risque de se réveiller lors d’une diminution des traitements. Enfin, l’allègement thérapeutique doit aussi prendre en compte la capacité d’observance au traitement de la part du patient, notamment lorsqu’il s’agit de réduire le nombre de prises. Cette stratégie s’appuie sur un suivi scrupuleux du protocole, il ne faut pas arrêter le traitement plus de temps que prévu. D’où la nécessité de s’assurer que le patient a une entière compréhension du protocole et y adhère.
En résumé, il faut à tout prix éviter les interruptions arbitraires, en absence de l’avis du médecin et privilégier une évaluation de la possibilité d’un allègement thérapeutique au cas par cas.
Entre réduction du nombre de molécules et réduction du nombre de prises, y a-t-il une stratégie à privilégier ?
Comme dit précédemment, je pense qu’après plusieurs années de traitement nous sommes sans doute face à plus de puissance antivirale que nécessaire et l’allègement a tout son sens. En plus de la réduction du nombre de molécules ou du nombre de prises, une troisième possibilité serait une réduction de dose d’une ou plusieurs des molécules au sein de la combinaison en cours. Cette stratégie aurait l’avantage de garder l’efficacité antivirale liée à la triple combinaison. Elle ne nécessiterait pas de changer drastiquement la formulation des médicaments, il s’agirait d’en prendre moins. A cela s’ajoute la nécessité de la coopération de l’industrie pharmaceutique : il ne faudra pas nécessairement réduire la dose globale mais peut être seulement le dosage d’une ou deux des trois molécules déjà combinées en un seul comprimé. Cette démarche est encore actuellement très peu discutée.
Quelle que soit l’approche choisie, nous avons notamment besoin de plus d’études pour comprendre la diffusion et le métabolisme de chacune de ces molécules : comment se diffusent elles dans l’organisme, quelle est leur durée de vie dans les tissus… toutes ne se valent pas ! Par exemple, une bonne diffusion des antirétroviraux dans les organes lymphoïdes, où se logent les cellules réservoirs, est sans doute un paramètre important pour éviter leur réactivation.
Pour moi, toutes ces stratégies devraient être plus largement évaluées, de préférence séparément dans un premier temps.